mardi 1 mars 2011

La vie privée n'existe pas

Il se tient recroquevillé, la tête penchée vers le rond central, les yeux fermés sur tout ce qui n’est pas lui et ce qui ne le raccroche pas à son cordon. Aimez-moi, montrez-moi que j’existe, parlez-moi de moi, il n’y a que ça qui m’intéresse. Il se gratte la peau autour du nombril, ces saletés ce n’est pas lui qui les y a mises, on les a déposées là il y a bien longtemps et personne ne s’en est plus occupé depuis. Il tire la peau à gauche, à droite, dessous, dessus, elle est particulièrement souple, étirable à l’envie.

Qui lui en veut, qui l’a mis dans cet état, qui le comprendra, qui l’aimera à la hauteur de son mérite ? Il pince la peau qui se soulève et semble suivre le mouvement. Il tire des fils, 100 % extensibles, vérifie que la peau, c’est bien ce qui de tous les organes humains se déforme le mieux. Il la prend entre ses doigts, ça commence à faire des petits bourrelets de chair, puis des filaments, des membranes pleines de tiroirs renfermant les toiles d’araignée de son enfance, sa mère sale pute qui l’a trop aimé ou pas assez, son père pas mieux, et tous les autres pareils, toute la généalogie sur des siècles et des siècles qui s’entrechoque en fond de cale, toutes ces histoires dont seuls se dégagent avec une répétition qui frôle l'immuable la morve en fin de parcours et l'espoir que la prochaine sera la bonne. 


Il tire, il tire, malaxe les lambeaux, s’en fait des colliers, les prend autour de son cou, de sa bouche, les mâche et les remâche à n’en plus pouvoir, pond des litres recrache dans un seau, aimez-moi, montrez-moi que j’existe, parlez-moi de moi, il n’y a que ça qui m’intéresse. Il en bave des paquets salés qui partent en rigoles. A force de tirer, ces membranes finissent pas n’en faire plus qu’une, une peau-surface derrière laquelle il abrite son visage, dans laquelle il s’enroule, qu’il se passe par-dessus le sommet du crâne. Il s’en recouvre, la tête bien au chaud, coincée derrière son nombril. Il pense nombril, il voit nombril, il aime nombril. Le nombril, c’est son monde. Et le monde ne voit pas son nombril. C’est là son malheur.