mardi 15 mars 2011

Qu'en dirons-nous alors

Traversée du quart nord-est de la ville. Le parcours est souvent le même. Départ au croisement boulevard Barbès - rue Ordener - Marx Dormoy - rue Riquet. Passage des ponts (départ des trains en contrebas au sud : Gare de l’Est ; direction Forbach/Strasbourg/Château-Thierry # Gare du Nord ; direction Lille/Bruxelles/Saint-Denis/La Plaine).

Sous le pont, rue Riquet, qui enjambe les voies ferrées, des flamands rouges montent la garde, en équilibre sur un pied sur des bidons d'essence verts. En fait, non, ce sont des manivelles avec des câbles qu'on dirait des flamands rouges très élégants, comme le sont souvent les flamands (les oiseaux). Peu importe, ils montent la garde. Sous leur surveillance, des traverses qui se croisent et se décroisent, un wagon de service rouillé qui a l’air de sortir d’une revue du rail des années 50, des feux rouges de signalisation, un tunnel où s’enfonce le RER et des murets en parpaings criblés de trous comme si quelqu’un avait tiré dessus au pistolet, un après-midi de gel et de désœuvrement. Au loin, dégagé par l’espace des voies de chemin de fer, l’horizon s’ouvre. La tour LG et la tour Samsung aux postes frontières porte de la Chapelle et, décalées sur l’est, les lettres Cap 18, en jaune, surplombent les empilements d’entrepôts, de parkings de béton. Il fait froid, l’hiver bat aux tempes et vient durcir les mains. La colère se dilue, humide, dans la fumée de sa respiration.

Il traverse la ville sans s’y arrêter. Des rues à avaler, des territoires à franchir, des silhouettes à éviter. 
En marchant, des lignes et des lignes se déposent dans sa tête. "Vos vie de meute ne m’intéressent pas", se répète-t-il. "Tout ce qui m’intéresse, c’est les pointillés que vous alignez sur le sable, les trous que vous creusez quand vous pissez dans la neige et les mouvements fuyants que vous créez dans ma rétine. Ce qui m’intéresse c’est ce que votre passage abandonne dans son sillage." Il s’adresse aux gens comme ça, sans vraiment ressentir le besoin de leur parler. Il a compartimenté son cerveau : il y a la partie où il se parle à lui-même, et la partie où il s’adresse aux autres. Aucun risque de se mélanger les pinceaux. Sachant, attention, sachant qu’il se permet des apartés. À lui-même quand il s’adresse aux gens et aux gens quand il se parle à lui-même. Le tout, c’est de bien savoir où il est.