mercredi 27 avril 2011

Rupture du zygomatique gauche

Une balle bien taillée tranche l’espace, sans qu’il soit possible de savoir d’où elle est partie. La balistique ne servira à rien pour déterminer l’origine du coup, c’est comme si cette balle avait toujours flotté dans l’air et d’un coup s’était jetée sur une trajectoire. Voilà mon destin, s’est dit la balle, pendant qu’elle rassemblait toutes les forces des propriétés du métal qui la compose, la principale étant sa puissance supérieure à celle de l’air qu’il traverse. En rotation dynamique, la balle ne dévie pas de sa ligne. Silencieuse, à peine un léger sifflement. Déterminée. Elle est arrivée dans le champ de vision de la cible et se situe à une dizaine de mètres à présent de sa boîte crânienne. Dans la tête de la cible, à gauche précisément, sous les premières veines qui viennent taper la peau, prêtes à exploser à force d’entendre le sang cogner, il y a quelqu’un.

Des rats sortent de la baignoire, des insectes filent à travers la chambre, des renards et des caddies enflammés dans leur sillage. La cible voit leurs silhouettes évoluer sur le côté de son œil, elle les entend, mais quand elle veut fixer son regard sur eux, elle ne les voit plus. Les rats, les insectes, les renards et les caddies ont rejoint le champ des ombres diffuses. Ils ont sauté hors de la baignoire, se sont enfuis, ont filé les uns après les autres. Disparaissant furtivement dans la bonde, se bousculant pour entrer dans les interstices du parquet. Calés, bien au chaud. A leur place, la mémoire vive de la cible prend le relais : toutes ces images vues sur l’écran, les vidéos de skate sur YouTube, le site météo du monde.fr. Il a neigé à Grenoble.

La balle se rapproche  - 7,30 mètres. C’est le cirque à l’intérieur. Le trapèze grince, un acrobate s’élance. À chacun de ses mouvements, il frôle les limites de son habitacle, vient heurter les cavités. Ses impulsions aériennes se propagent en ronde, les lames d’un feu qui s’étend. D’autres acrobates entrent en scène, s’élancent sans effort et s’échangent leurs places sur les trapèzes. Il n’y a qu’à gauche que ça grince, ailleurs, à droite, en dessous, dans les souterrains, c’est bien huilé, le déplacement est élégant. La piste aux étoiles en home-cinema. Entrez mesdames et messieurs et retenez bien vos souffles, non, trop tard, vous avez fait peur aux oiseaux. Une nuée d’étourneaux s’enfuit, aussi discrète qu’une division aéroportée.

Champ de vision latéral occupé. Des plumes explosent, un étourneau a croisé la balle, qui ne dévie pas d’un pouce. Elle continue d’avancer en tournant sur elle-même. Plus qu’1,25 mètre et l’objectif sera atteint. Le métal chauffe l’air. Sa progression ralentit en pénétrant la mandibule, arrachant des morceaux de peau et faisant jaillir les premières gouttes de sang et de chair. Un trapéziste lâche prise, mauvais calcul, pas le rattrapage escompté, et atterrit sans filet sur la tête d’un clown en bas. La gueule écrasée en biais sur le sol.

- Et meeeerde. Bon, les gars, on rallume tout et on reprend. La division aéroportée d’étourneaux, là, c’est n’importe quoi, on peut s’enfuir dans une nuée d’ailes et dans la discrétion, nan ? Très bien. Vous me faites ça poésie, terreur, ombres malsaines, les Oiseaux, The Birds, you know Hitchcock ? Mais pas Panzerdivision, ça noie le propos. Cette balle, elle traverse le décor dans la tête du mec, mais la cible, c’est le mec, le décor, on n’y touche pas. Tout le monde est ok sur le concept ? Bon, le clown, il y passe, c’est pas très grave, la mort d’un clown n’a jamais fait pleurer personne, mais si on pouvait éviter les dommages collatéraux, ce serait meilleur pour l’image de la prod. Je veux un peu de fouillis un peu de cacophonie, mais faut que tout cela reste intelligible, j’espère que nous sommes d’accord au moins sur ce point. Allez, hop, on nettoie le clown, les plumes, et tout le monde se recale au moment des screenshots météo. Hiver 2011, ça va mal pour tout le monde et c’est facile pour personne. Il a neigé à Grenoble.